Dans une interview accordée à Mediaguinee mercredi, 9 février, à son domicile privé sis à Kipé, l’ex-miinistre de la Justice sous le régime de Lansana Conté, professeur de droit constitutionnel, Salifou Sylla, s’est prononcé sur les sujets brûlants de l’actualité dans le pays, à savoir: la mise en place du CNT (conseil national de la transition) le choix de Dansa Kourouma à la tête du CNT, l’imitation d’âge des candidats aux élections et les agitations sur la scène politique avec la création de plusieurs coalitions politiques. Interview…
Mediaguinee: Longtemps attendu, le CNT est désormais mis en place et les membres mêmes ont commencé le travail. Quelle appréciation avez-vous à faire par rapport à ça?
Salifou Sylla: Je n’ ai pas une appréciation particulière. Mais, je pense que ça a un peu tardé d’ailleurs la mise en place du CNT. Puisque dès le départ, cette structure était considérée comme un des éléments essentiels de la transition tel que c’est prévu dans la charte qui a été mise en place. Je ne pensais pas que ça allait prendre du temps après tout ce temps-là pour que ça soit mis en place. Mais, l’essentiel est qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Le CNT a été mis en place. On ne peut apprécier une structure qu’en fonction de ce que la structure va faire. Nous savons, quelles sont les compétences qui sont dévolues au CNT. Puisque sa mission est de jouer le rôle d’un parlement de la transition. Mais, j’ai l’impression qu’il a été installé, il y a des problèmes qui se posent déjà. Du fait même de la manière dont ce CNT a été composé. Il s’est trouvé qu’on a sacrifié un certain populisme. Je veux dire par là quand j’ai vu le quota qui était réservé aux partis politiques qui est 15 places, et je vois ce qu’on a donné à d’autres structures. Ça, m’a interpellé parce que vous savez, il y a un problème fondamental. Le CNT est un organe qui est appelé à jouer le rôle d’un parlement. Le parlement est une structure essentiellement politique.
Quand je vois qu’on a mis 15 sièges seulement au profit des partis politiques, on leur a livré ça, les gens se sont précipités là-dessus comme un os que vous jetez. Et, que tout le monde se précipite. Et, il me semble que ça n’a pas été une bonne chose. Les partis politiques n’ont pas su prendre leurs responsabilités. Ils se sont mis à se chamailler. Et, il était difficile. Quand vous avez une prolifération de partis politiques dans un pays, vous leur dites de choisir 15 personnes, vous n’avez pas défini les clés selon lesquelles on va faire le choix, vous dites, choisissez entre vous. Donc, en fait, vous les mettez les uns contre les autres. Et, tout le monde a vu comment les choses se sont passées(…). Tous les partis juridiquement peut-être sont égaux. Mais ils ne sont pas égaux entre eux. Il y a des choses élémentaires que l’on doit savoir. Un parti, ce n’est pas seulement le nom parce qu’on vous a donné un agrément. Le parti a d’autres éléments. Dont le nombre de militants, dont la capacité de mobilisation. Mais, j’ai constaté que ce sont les partis les plus insignifiants qui se sont mis à crier. Et, ce sont eux, qui ont obtenu les sièges. Qui dans les circonstances normales d’élection n’auraient même pas pu rêver à un siège dans un parlement. C’est que les partis, les plus importants dont tout le monde connaît l’envergure dans ce pays on leur donne un petit siège. Ça, c’est une manière de créer des conflits. Parce qu’il y a beaucoup qui ne se sentent plus représenter dans ce CNT. Et, ça va poser des problèmes. Et, ça, c’est inévitablement poser des problèmes dans le pays. Je crois qu’il faut que les autorités évitent de verser dans le populisme, dans la démagogie. L’assemblée nationale est une institution. Et, l’institution parlementaire est fondamentalement une structure politique. Donc, on aurait dû faire beaucoup plus de places aux partis. (…). Ce que je crains c’est que les groupes politiques importants ne se trouvent exclus du débat. Puisqu’ils ne seront pas du CNT. Alors, le débat risque de se dérouler ailleurs.(…). Les partis politiques auraient dû refuser les 15 places.
Mediaguinee: Dansa Kourouma à la tête du CNT, quel est votre commentaire ?
Salifou Sylla: J’attends de voir Dansa à l’œuvre. Vous savez moi j’ai une conception des choses. Je ne juge pas à l’avance sur les autres. Je vais les voir à la tâche. Je le connais. On était au CNT(2010) ensemble. Je sais que c’est quelqu’un qui a beaucoup agi dans la société civile. Vous savez, être membre du CNT, en être président, avoir à diriger les structures, avoir à organiser les arbitrages entre les différentes opinions. Il faut qu’on vous voie à l’œuvre. Je vais juger Dansa à l’œuvre.(…). Je sais qu’il y a beaucoup qui s’opposent à sa nomination. Il y a beaucoup qui dénoncent eh bien la collaboration qu’il a eue avec Alpha Condé. Même s’ il savait jouer. Mais, il le faisait. Mais, comme l’homme peut changer, on va voir si la fonction qui lui est confiée, peut l’amener à changer. Donnons lui un temps pour voir comment les choses vont se passer. Mais, je n’ai pas la conviction que peut-être ce CNT sera là pour gêner ce gouvernement.
Mediaguinee: Depuis quelques jours, il y a une histoire de l’imitation d’âge des candidats aux élections qui fait couler beaucoup de salive dans les partis politiques. Je veux parler de Cellou Dalein Diallo qui accuse déjà l’entourage du Colonel Doumbouya de vouloir se prêter à ce jeu d’exclusion. Vous pensez qu’il est nécessaire de l’imiter l’âge pour être candidat aux élections?
Salifou Sylla: J’entends les gens dire faisons la place à la jeunesse. Pour moi le jeu politique, on fait la place à la compétence. Il y a des jeunes qui sont d’une carence notoire. Vous allez mettre parce qu’ils sont jeunes ? Ils ont quoi dans la tête ? Je vais vous dire une chose. En 2010, quand nous étions à la commission constitutionnelle du CNT, il s’était posé le problème de la limite d’âge. Les gens sont venus crier que c’est parce qu’on veut exclure Alpha Condé, on veut mettre la limite d’âge. Moi, j’avais dit à l’époque, laissez les gens concourir, la population peut apprécier. Quelqu’un peut être d’un âge avancé être un homme lucide et compétent. Quelqu’un peut être jeune et être d’une carence absolument lamentable. C’est la qualification qui doit amener avec les gens à un poste déterminé. En matière politique, l’âge ne compte pas. Moi, je dis il ne faut pas entrer dans cette considération. Si jamais leur objectif c’est d’utiliser différents mécanismes pour exclure certains du jeu politique, je suis convaincu que ce pays ira à la dérive.
La politique d’exclusion, j’ai eu à le dire au Premier ministre Kassory quand ils ont entrepris cette histoire de constitution-là. Cette histoire de constitution qui avait été organisée non pas pour améliorer la situation juridique du pays, mais, pour simplement un homme et l’implanter au pouvoir, en l’accompagnant dans la dérive. Je l’ai dit à Kassory dans son bureau que si vous excluez certains politiques, vous les empêchez d’aller à l’assemblée et autres là, le débat se déroulera dans la rue. Et c’est ce qui s’est passé. Il faut que les gens arrêtent de se servir des mécanismes d’Etat pour assouvir leur ambition politique. Il faut que les autorités de la transition fassent beaucoup attention. Quand vous montez au pouvoir dans un pays, analysez la situation et analysez tout ce qui s’est passé dans ce pays. Au début, tout le monde était autour de Mamadi Doumbouya. Maintenant, beaucoup ont commencé à s’éloigner. Parce qu’il a commencé à prendre des décisions qui ne vont pas dans le sens de la réconciliation. Quand vous venez à la tête d’un pays, ne faites pas le jeu de certains qui sont cachés à la Présidence, qui manipulent et qui vous font faire des choses, la conséquence sera là.
Mediaguinee: Un mot sur les agitations des leaders politiques avec la création de plusieurs coalitions politiques.
Salifou Sylla: Nous assistons à un spectacle hallucinant des partis. C’est quand même inimaginable que des gens s’agitent ainsi. Coalition ici, coalition par là. Mais, le CNRD il fera ce qu’il veut dans ce pays. Personne ne pourra le contrarier. C’est ce qui s’est toujours passé dans ce pays. Des partis démissionnent, les hommes politiques démissionnent. Ils sont là, et celui qui est au pouvoir, il fait ce qu’il veut. Et, c’est ce à quoi nous assistons.
Réalisée par Elisa Camara
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L’article Interview. Salifou Sylla, ancien ministre: « je n’ai pas la conviction que ce CNT sera là pour gêner ce gouvernement » est apparu en premier sur Mediaguinee.org.
Last modified: 10 février 2022